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theatre de la cité internationale - Page 2

  • Sous le voile

    Plein écran en fond de scène, en réponse à une requète google portant sur le niquab plane un nuage oppressant de mots et d'images, de non-dits et d'arrières pensées. En pleine confusion, le corps répond. En s'engageant résolument dans l'expérience de ce voyage dansé sous voile intégral. Héla Fattoumi se livre sans équivoque ici à un acte politique, dont on comprend vite le sens et les convictions. Peut-il s'agir dans le même temps un véritable acte artistique? Je le crois.

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    Pourtant un moment j'en doute, alors que nous sont lentement infligées, denoncées, ces sourates, reglements d'une étouffante précision, précis d'interdit et de contingentement du corps féminin. Mais j'en suis persuadé, quand ce corps lutte et s'exprime: une forme à deviner dans le tissu, qui joue avec ambiguité (des coudes, ou des fesses, ou des hanches ?) une danse du ventre invisible sur un air de disco arabisante. Une icone chrétienne. Un long moment de face à face impuissant avec un regard prisonnier, d'où rien ne s'échappe, que des larmes perlées. Ce visage confisqué. Un affaissement comme animal, effrayant, en tas destructuré. Une bouche qui se devine, s'asphyxiant lentement d'une respiration opressée. Une origine du monde fulgurante. Une main qui s'échappe, mutine, qui vers nous trouve son chemin. Toujours la révolte et l'impuissance. Clandestinement, la statue de la liberté. Une séance de pliage résigné de tissus sans sens. Surtout en toute beauté un corps féminin qui s'exacerbe en transparence, trouve malgré tout sa voie impudique et et souveraine rendue au soi. Un aveuglement soudain. Jusqu'au déchaînement, comme au sens premier du terme, jusqu'à l'épuisement alors, mais aussi la libération. Pour fionir avec ce chant d'hommage aux femmes qui se révoltent dans un monde d'hommes. Ces images fortes m'engagent, même si de tous ces tissus je perds parfois le fil.

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    Je vois et je ressens les beaux gestes engagées d'une femme libre. Je ne sais si elle pourra convaincre au delà d'évidences déja partagées par les uns, mais je sais que ses simples gestes sont courageux.

    C'était Manta, d'Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, au Théatre de la Cité Internationale jusqu'au 16 avril.

    avec, samedi 10 avril, une table ronde avec Héla Fattoumi à 17H, et à 16H et 20H VIP défilé de Majida Khattari.

    Guy

    photos de L.Philippe avec l'aimable autorisation du TCI

    A lire: le tadorne , Le monde, critiphotodanse, lunettes rouges

  • And then, they were three...

    Au Theatre de la Cité internationale, on pourrait s'imaginer dans une salle de concert des sixties, mais en faisant preuve de beaucoup de bonne volonté, et d'un singulier sens de l'abstraction.

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    Une batterie suffit. Installée au centre de la scène, surélevée, en attente. D'abord- puisque Paul serait mort- elle tient la place d'un absent. Surtout est un symbole elliptique et efficace, sans devoir être un instrument, dont on pourrait jouer, vraiment. Qui d'ailleurs se souciait qu'en play-back à la télévision, les groupes d'alors faisaient semblant? Et les trois garçons sans guitare et en mouvement ne cherchent pas à ressembler aux quatre vrais Beatles, plutôt se figent en caricatures grinçantes. Herman Diephuis applique ici à cette matière d'imagerie (pop)ulaire- les pochettes de disques et photos de promo des fab four- la méthode reproductive déjà éprouvé sur les tableaux des maîtres flamands. Essaie d'agencer ces images arrêtées, de pose en pose. Explorer ce qui peut vivre entre elles, quels mouvements. Dans une démarche voisine de celle de Boris Charmatz (50 ans de danse), pour se heurter à certaines des mêmes difficultés. De front et en connivence, de quoi nourrir intérêt ou exaspération, c'est selon. Les cascades s'enchaînent, qui surjouent comme selon les modèles d'époque la joie de vivre, l'excentricité, la rebellion temperée, l'entertaiment à tout prix. Tout en dehors, rien en dedans. Jusqu'à l'épuisement. Les grimaces tentent de survivre au-delà du temps limite, drôles ou lassantes, savoureuses ou ennuyeuses. « Paul est mort ? » est un spectacle triste, forcement. Savoureux également. Qui se médite plus qu'il ne s'apprécie sur le moment.

    Herman Diephuis montre en quoi un concert n'est pas un concert, ou n'est pas qu'un concert au sens où on l'entend. Les gestes du concert disent quelque chose de plus que la musique, ou à coté. S'émancipent. Comme les gesticulations de Xavier Le Roy en chef d'Orchestre n'interprétant pas le Sacre du Printemps. « Paul est mort », c'est la rumeur qui faisait flores parmi les fans à la fin des années soixante. En tout cas ce soir plane une absence. Est-ce une métaphore de l'art sacrifié en commerce, réduit à la promotion? La musique de Lennon et Mac Cartney, omniprésente, répétée, banalisée, saturée, semble du coup absente, désincarnée. Les gestes à force d'appui et de répétition se vident de leur sens, de même que les bruits de foule noient les chansons. Vers la fin: l'échappée. Paul est mort, un deuil enneigé. Un faux Ringo tente un solo, silencieux bientôt, il faut remballer.

    C'était  Paul est mort ? d'Herman Diephuis, au Théatre de la Cité Internationale, avec le festival « Faits d'Hiver ».

    Guy

     photo par Alain Julien avec l'aimable autorisation du T.C.I.

    A lire ici, sur les croisements scène/musique:

    Tracks

    A Love Supreme

  • La Guerre et les Mots

    Le monde est blanc, flou, denudé: une prison matelassée en forme de cube, un no man's land, entre nous et la guerre une zone frontière. Elle est frêle, encore enfant, presque réduite à rien, survit debout, bras tombés le long du corps, pieds enfoncés comme dans la neige.

     

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    Ses phrases d'étrangère hésitent, évitent, les mots mutilés. Ils viennent conquerir notre attention, sans que ne puissent se dresser doutes ni resistance. Dans la bouche de ce temoin ordinaire, le plus horrible de la guerre reste indicible. ll lui faut se libérer des mots des autres, écrasants. Elle nous répete les ordres et les rires des policiers, les cris gutturaux: "CHTO". Dans sa conscience les langages s'effacent les uns les autres, s'embrument: le tchétchène natal, le russe des soldats, le français hospitalier. Les souvenirs reviennent et se répondent, obsédants, les temps et les lieux se confondent sur la route de son exil, au milieu seul son corps fragile, fouillé, humilié, et qui à tout cela ne peut rien comprendre, l'humanité là bas ramenée à néant, ici dans notre regard réhabilitée. En projections les paysages défilent, perdus et incertains, et le souvenir infiniment précis d'un motif de papier peint, dans la maison où peut-être elle ne retournera pas. Dans sa ville où dans la guerre plus rien n'existe. Elle ne dit rien, ne peut rien dire, du meurtre de son père, et d'autres massacres, souvenirs dits en ombres. La raison impuissante, elle répete la même phrase: "Je ne veux pas", jusqu'aux limites de notre endurance. Une épreuve que nous acceptons d'elle, ainsi que ce texte adapté de sources documentaires, dur et hors littérature appuyés sur la simplicité poétique des moyens scéniques, et sur une interprétation exceptionnelle, incarnation parfaite. Nos yeux s'ouvrent, l'espoir et l'avenir, une identité à reconstruire.

    C'était CHTO interdit aux moins de quinze ans, texte de Sonia Chiambretto, mis en scene d'Hubert Colas, avec Claire Delaporte. Jusqu'au 20 novembre au Théatre de la Cité Internationale, présenté avec CHTO Trilogie, en alternance avec Mon Kepi Blanc et 12 soeurs slovaques.

    Guy

    Lire le TadorneSitaudis.

    Lire aussi: des témoins ordinaires

    photo de Nicolas Marie avec l'aimable autorisation du Théatre de la Cité Internationale

  • Béjart/Huynh/Henry: hier, demain, aujourd'hui?

    L'art éphémère, vivant, begaye- t-il trop souvent? Doit-on lui rafraîchir la mémoire, par transmission d'homme à homme et par hommages organisés? Surtout lorsque beaucoup de créations s'épuisent dans le même temps en surenchères qui n'ont même plus le goût de la provocation, ni celui de la spontanéité. C'est de saison, celle ci avait débuté avec de beaux voyages dans le temps, jusqu'en 1965 déja. 

    L'homme à qui la soirée du T.C.I. est dédiée- Pierre Henry- a 80 ans passés. Il nous invite en arrière jusqu'au début des années 50 pour une visite de ses compositions destinées à Béjart, encadrées par deux chorégraphies utilisant ses musiques. Au total, l'entreprise peut tout autant s'entendre comme un hommage à Maurice Béjart que comme un hommage à Pierre Henry. Elle permet en tous cas de considérer sous divers angles les rapports entre danse et musique. Mais s'agissant du plat de résistance- le concert- la danse brille par son absence. Nul improvisateur -contemporain et un peu kamikaze- ne se risque à dialoguer de son corps avec Arcane (1955) ou Haut Voltage(1956). Est ce stratégie délibérée? Rien à voir et tout à entendre? La scène est prise en otage par un dispositif pour le moins intimidant d'amplificateurs de taille et textures variées, disposés comme dans un show-room pour matériel hi-fi, là tous en joue vers nos oreilles. Le compositeur est assis au premier rang, dos au public face à une console. Pour conduire? Jouer? Interpréter? Mixer? Improviser? Juste déclencher des enregistrements? S'agissant de musique electro-acoustique en quoi consiste au juste l'exécution? On oublie vite cette question. Et l'on oublie l'absence de la danse. Sans éviter de devoir écouter cette musique des deux oreilles à la fois. D'une part pour ce qu'elle est, d'autre part en s'interrogeant sur la manière dont elle se situe historiquement, si on la découvre en candide. De ce dernier point de vue on est assailli à rebours par les réminiscences familières en musique populaire des Beatles à Pink Floyd, en passant par certains jazzmen, jusqu'au mouvement techno. C'est une entrée possible pour les accompagnateurs qui tenteront d'intéresser les scolaires à ce monsieur qui pourrait être l'arrière-grand père de leur D.J. préféré. Peut-être faudrait-il éviter de leur présenter cette musique comme trop sérieuse, et il est vrai qu'elle sonne finalement peu datée, sauf sans doute dans les sons les plus futuristes. Tant la distance s'abolie entre le bruit et la note, dans l'exploration d'une incroyable variété de timbres. Les audaces semblent plus se concentrer sur les textures et les matières sonores que sur les harmonies ou les structures, boucles et répétitions rassurent. Les références familières et culturelles éffusent, entre sonorités d'orchestres classiques ou modernes-mais toujours détournées- et évocations urbaines et concrètes. Comme pour apprivoiser la modernité. C'est un monde entier qui grouille et s'exprime, avec les commentaires ironiques de voix sardoniques. On dirait de la world music sans instruments....

     

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    La soirée se conclue musicalement sur un mode beaucoup plus minimaliste, mais avec une efficacité incontestable. La porte qui grince, et la respiration- variations pour une porte et un soupir- permettent l'expression de 16 situations différentes: sommeil, éveil, fièvre, chant, etc... C'est le contrepoint proposé par sept interprètes du Ballet de l'Opéra national du Rhin qui pose plus de questions. D'où dansent ils? De la création de Béjart(1965) ne reste que le concept: faire improviser sur chacune de ces séquences certains des danseurs selon des combinaisons tirées chaque soir au sort. S'il s'agit de pure improvisation, peut on parler de ré-création de la pièce de Béjart? Encore qu'un de mes voisins plus expert met en doute ce principe d'improvisation lui même, tant certaines rencontres lui semblent tomber trop justes. S'il y a hommage, il se manifeste plutôt par l'esthétique, par les styles, même plus ou moins audacieux d'une séquence à l'autre. C'est dans l'ensemble lyrique, expressif, figuratif, mais somme toute plus daté que la musique. On en retient qu'on est pas passionné par les post-bejartiens, sans pour autant bouder son plaisir lors des tremblements de la séquence finale (mort), ni lors de certains gags... Et les interactions entre danse et musique évoluent librement, sans soucis de l'imitation rythmique. Mais en comparaison, la recréation de la pièce d'Halprinnous emportait assez vite loin pour qu'on ne soit pas à se poser de manière trop aigue la question de la fidélité.

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    Emmanuelle Hyunh, ancienne élève de Mudra- l'école de Béjart à Bruxelle-, ouvre la soirée, et tire étrangement son épingle du jeu. Les rapports de Futago avec Pierre Henry et Maurice Béjart paraissent pour le moins tenus. La choréraphe contourne l'hommage obligé en saturant la pièce de références à l'époque plus qu'aux oeuvres des deux maitres, usant de lumières de boite de nuit psychédelique, de costumes comme issus des swinging sixties. La messe du temps présentest noyée dans le rythme d'un jerk avec force guitare fuzz et carillons. Aprés une entrée en catimini dans l'obscurité, l'une l'ombre de l'autre, les deux jeunes femmes en pull et collants dansent comme au temps de Rio ne repond plus. De la pointe des talons à la pointe des seins, aucun nu ne saurait rivaliser avec cette section sur le terrain de l'érotisme. Puis, comme s'il ne s'agissait que d'un prétexte vite expédié, le projet bifurque, en en oubliant l'articulation en chemin. Vers des thêmes pas in-intéressants. Pour montrer une lutte de corps siamois par les épaules réunies, des tensions symétriques, un accouplement triste, des affrontement de sumo. C'est silencieux et intriguant, troublant, et sans rapports visibles avec le reste de la soirée, avec le sentiment que les choses ne vont cette fois pas tout à fait jusqu'au bout. C'est au moins une promesse pour aprés.

    C'était Futago d'Emmanuelle Huynh, Pierre Henry en concert pour une première partie de l'intégrale de ses compositionspour Maurice Béjart, Variation pour une porte et un soupir sur un concept de Maurice Béjart et une musique de Pierre Henry par le Ballet de l'Opéra national du Rhin.

    Au Théatre de la Cité Internationale, jusqu'au 28 avril.

    Guy(avec ses remerciements à Isabelle et Damien).

    photos de JL Tanghe (variations) et Toshihiro Shimizu (Fugato) avec l'aimable autorisation du théatre de la cité internationale.

    A voir: les photos de Laurent Paillier.

     

  • Looking for Paco: episode 5

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 5: Avant les vacances. 

     

    Le temps fuit. Demain commence déjà la toute dernière semaine de répétition de Fresque, avant la première du lundi 19 janvier, et il y a beaucoup à raconter. 

    Pour commencer: un retour en arrière, avant Noël et la nouvelle année. C'est un après-midi avant les vacances, à Micadanses. Le lieu semble désert, ou à peu prés, en tout cas pas très gai.. Paco n'est pas là, parti quelque part en province, pour la journée. Se passant de lui, les sept danseurs répètent, dans le studio May Be, cette salle de répétition qui est aussi utilisée pour certaines représentations de Faits d'hiver

     

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    Minutieusement, ils travaillent, progressent dans l'exécution de certaines séquences. En toute sérénité. A proprement parler, ils ne créent pas, ils affinent. Comblent certains vides, relient des gestes. Ce qu'au départ je recherchais reste insaisissable, décidément, mais pour me permettre de découvrir autre chose: ce que je vois en ce moment est spectaculaire. Mais d'une manière éphémère, qui plus tard s'estompera, quand la création sera achevée. Car je vois maintenant, en pleine lumière, toutes les performances physiques, les efforts, les prouesses athlétiques, les élans arrachés et la lutte contre la pesanteur, les impossibilités contournées centimètres par centimètres. Tout ce qui sûrement sera rendu invisible dans la pièce, dans son déroulement, pour qu'alors les mouvements puissent paraitre naturels, les corps emportés dans le flux de l'évidence et du récit. On verra alors les interprêtes sur la scène, mais le travail sera caché, à l'intérieur d'eux. Il n'est pas interdit de penser que certains danseurs en soient un peu frustrés... Mais pour le moment à Micadances tout se voit et tout est étonnant, d'une manière qui me renvoie à la conscience cruelle des limites de mon propre corps: Sylvère se tient à l'envers, finit en équilibre tout son poids sur l'épaule, s'appuyant à peine le long de Vincent. Il parait incroyable que des hommes de sa carrure, ou de celle d'Orin, puissent se mouvoir avec une telle agilité. Plus tard l'un des danseurs me confie qu'au fil des mois de répétitions, son organisation musculaire a finit par s'adapter aux contraintes propres à cette pièce, pour contrecarrer la fatigue. Takashi, un peu à l'écart, plus petit, se lance dans des mouvements très rapides, des mouvements de chats. Ici sont rassemblés deux asiatiques, une sud-américaine, quatre européenn(e)s qui ne se ressemblent pas: d'évidence il y a pas de physique imposé pour danser pour Paco. Les garçons avancent debout sur les mains, les trois filles ne sont pas en reste, tous se lancent dans des figures hip-hop. Tels de grands ados, voudraient-ils aujourd'hui m'en mettre plein la vue qu'ils ne feraient pas autrement. En l'absence de Paco, ils s'observent les uns les autres pour se conseiller. Chacun est à l'écoute, Noriko, qui parle rarement et plutôt en anglais, intervient pour rectifier une position de Silvère, et tous sont attentifs. Vu d'ici- mais je ne viens qu'une fois sur cent- ni tension, ni chefs, ni rivalités. Mais de la fatigue et des corps essoufflés, des enchaînements répétés dix fois et plus. Et des plaisanteries, tout le temps, et d'autant plus aux moments où l'effort est évident, ou la figure virtuose. Comme par pudeur, comme pour s'excuser d’avoir à se montrer, et même les uns aux autres, pour ne pas donner l’impression de vouloir en montrer trop. L'auto-dérision comme remède contre l'esprit de compétition? Même, ils rient souvent comme des enfants qui auraient réussi une pirouette. J'ai l'impression de me retrouver dans la cour de récré. Comme par exprès les filles répètent ensemble une scène et les garçons s'arrêtent, s'assoient pour les regarder et commenter, un rien sardoniques. Ensuite, les rôles sont inversés, les filles regardent les gaçons répeter. Puis tous se laissent retomber à plat le temps d'une pause, s'étirent et se massent, entament un grave débat pour décider qui demain matin va acheter des haribos. Jesus me propose un peu de la tortilla qu'elle conserve dans un tupperware, c'est appétissant mais je n'ai pas l'excuse de griller autant de calories qu'elle. Puis ils recommencent, et les plaisanteries de mêmes…

    Quelques jours plus tard, Jérôme m'écrit, tout excité, pour m'annoncer qu'il a retrouvé la partie manquante de la Fresque. Il la montrera à Paco... mais dans l'épisode d'après, au T.C.I.....

    Guy Degeorges

      

    Photo de Jerôme Delatour  (mais ici prise au studio Banca Li), les autres sont sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

    Le prochain épisode est diffusé ici, bientôt...

    En attendant, lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 6, episode 7 , les bonus...

     

    P.S. Et spécialement pour les lecteurs de ce journal, et les admirateurs des photos de Jérome, le Théatre de la Cité Internationale propose d'assister, pour un tarif à 8€50 (1) à la représentation de Fresque du 26 janvier, qui sera suivie d'une rencontre avec Paco Décina, et l'équipe artistique.

    Reservations au théatre 01 43 13 50 50, mot de passe "Blog". 

     

    (1) c'est le tarif le plus doux, sauf si vous avez moins de 12 ans.

  • Looking for Paco: bonus

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Quelques bonus...

     

    Pause Forcée

     

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    Les répétitions de Fresques ont continué pendant une quinzaine au C.N.D., et sans que je parvienne me libérer, même une heure ou deux, pour y ouvrir un œil, une oreille…

    Qu’ont-ils fait, là-bas, durant ces deux semaines? Je reviens, irrésistiblement, à ce qui est invisible, hors champ. Que le regard soit attiré dans cette direction, c’est, dans ce projet, une obsession.

    Cette question en amène une autre, illico…Font-ils autrement quand je suis là que quand je n’y suis pas? Il dansent, bien sur! Mais surtout durant les moments où ils ne dansent pas? Je sais bien que ces danseurs sont habitués aux ateliers, aux ouvertures, aux répétitions publiques, aux interventions dans divers milieux, etc… Il n’y pas le noir et le blanc, d’un coté la scène et de l’autre le reste…Il n’empêche! Ma présence, celle de Jérôme, ont-elles une influence sur la manière dont ils se comportent, dont ils parlent?

    Puis je vraiment assister à la création? C’est une interrogation voisine de celle d’un ethnologue…par définition je ne le saurais sans doute jamais.

     

    La musique et le regard

     

    Au filage qui eu lieu lors de ma première venue au T.C.I. assistait aussi Michel Caserta, qui est l’éminent directeur de la biennale du Val de Marne. Ses avis furent, bien sûr, attentivement écoutés. Dont deux remarques critiques, qui firent saillie au milieu de nombreux compliments.

    En premier lieu, l’une des séquences musicales, dans laquelle étaient utilisées des voix retraitées, l’avait quelque peu gêné. En réfléchissant à cette réflexion, je me disais, moi aussi, que ce passage était en soit intéressant, mais qu’il s’agissait de la plus « visible » des musiques utilisées durant le filage, et au risque de détourner l’attention de la danse.

    Paco et Frédéric Malle, le créateur de la musique, m’apprirent un peu plus tard que ce morceau avait été le premier à être créé. Et même une source d’inspiration pour l’ensemble de la création, à ses débuts… Ce qui était un point de départ sera-t-il à l’arrivé gommé pour sauvegarder le bon équilibre de l’ensemble?

    Ensuite, Michel Caserta fit la remarque, qu’à mains égards, la danse était déja aboutie, incarnée…mais pas encore jusqu’aux expressions du visage, du regard, de la bouche, de la respiration.

    Est-ce le plus important, et cela ne peut il venir qu’en dernier ?

    Mais à entendre ces deux remarques, j’étais dés lors un peu plus rassuré: Fresque n’en était pas encore, n’en est toujours pas, à son achèvement…

     

    En Parler ou pas ?

     

    Dans la Galerie, durant les premières minutes de ma toute première visite, Marion m’avait lâché quelque chose d’assez drôle, dans le feu de la conversation: « Tu peux parler absolument de tout, sauf des histoires de cul». Ce qui tombait plutôt bien: de tous temps plutôt naïf, je n’ai jamais trop bien flairé autour de moi les intrigues amoureuses, sinon avec un train de retard.

    Cela revenait donc à dire que dans mon récit rien ne me serait interdit!

    L’exact opposé d’un reality-show télévisé.

    J’en suis aujourd’hui à peu près au premier tiers de ce travail de regard et d’écriture.

    Sans histoire de cœur, bien sur, surtout sans trop savoir où je vais. Sans savoir ce que j’écrirai la semaine suivante, avec juste le sentiment d’entreprendre quelque chose d’un peu original. Cette petite incertitude fait écho à l’incertitude, aux implications autrement plus importantes, du projet artistique que j’ai pour projet d’observer.

    Une chose est sure, comme promis, l’écriture se fait en toute liberté. Sans jamais que ces articles ne soient relus par le théâtre ou la compagnie. …

    Et il est tout aussi évident que mon regard tombe sous le charme…. Avec la hâte, la semaine prochaine, d’y retourner !

     

     

    Guy Degeorges 

     

    Photos de Jerôme Delatour, a voir en intégralité sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

     

    lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 5 ...

     

  • Looking for Paco: episode 4

     

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 4 : Que font ils aujourd'hui? 

     

    Nulle part ici dans le studio de crayon, de cahier, de dessins, de calendrier. Ni de caméra, ni d’ordinateur. Pas de paper–board, nulle notation, ni partition. Juste encore des fringues jetées partout. Zéro tracabilité.

    Seuls les deux visiteurs d’aujourd’hui travaillent à l’aide-mémoire. C'est-à-dire avec un stylo (moi-même), avec un appareil photo (Jérôme). Ceux qui créent Fresque, le font juste avec leurs corps, et leurs têtes.

     

    Nous les regardons: Paco Dècina et les danseurs au grand complet- Vincent Deletang, Takashi Ueno, Jesus Sevari, Orin Camus, Noriko Matsuyama, Chloé Hernandez, Silvère Lamotte- qui ensemble travaillent une scène. Une scène qui d’ailleurs ne porte pas de nom, qui n’a pas non plus de numéro. C’est juste « la scène d’après ». Ils répètent, et se souviennent des gestes déjà répétés, la veille, avant. Plus ou moins. L’un des garçons suspend son mouvement au moment où Paco lui fait remarquer: «Tu devrais faire comme tu faisais hier, tu sais…Ca fonctionnait mieux ! ». Ce qu’il faisait hier, en l’occurrence il l’a oublié. La vraie question, c'est plutôt: comment se souviennent-ils de tout le reste?

    Doute. Je note une autre question à poser à tout à l’heure, lors de la pause, à Paco: pourquoi est-ce cette scène qu’il répète aujourd’hui, maintenant. Pourquoi celle-ci précisément- même si d’ailleurs cette scène ne porte pas de nom- et non n’importe quelle autre, parmi cinquante, ou cent?

    Au moins une chose est établie: aujourd’hui nous sommes au studio Blanca Li. Rue des Petites Ecuries, au dessus d’un Franprix, dans un quartier populaire, africain, affairé de Paris. Un lieu que Catherine a loué pour la semaine. Encore que nous pourrions être n’importe où. Lorsqu’à la pause, nous évoquerons les répétitions de la semaine suivante, Paco parlera de Micadanses. Raté. Tout le monde, sauf Paco, semble savoir qu’en fait ce sera au C.N.D. Moi compris, qui garde précieusement le planning, établi par Catherine, des lieux de répétition.

     

    Petit bond en avant. Tout à l’heure Paco me répondra, concernant la scène à répéter, que ce matin même, il n’avait rien décidé. Puis qu’il fit son choix «en fonction de l’énergie des danseurs». Concernant les jours à venir, cela semble tout aussi indéterminé. Quand même, Paco reconnaît qu’en janvier, de retour au T.C.I.,à l’approche des représentations, avec la lumière, la musique, la vidéo, le calendrier sera plus resserré.

     

    Flash back sur la dernière visite au T.C.I. . Paco, dans l’ombre, semblait alors plus dans le calendrier, plus conscient de l’horloge, plus préoccupé, moins enjoué. Grondait une danseuse qui était arrivée un quart d’heure en retard, pas échauffée. L’environnement du théâtre le ramenait-il à une conscience plus aigue des échéances?

    Flash forward, encore plus tard: Chez moi, je consulte le gros bouquin de Rosita Boisseau avec sa sélection de 90 chorégraphes. A chaque chorégraphe son illustration. Beaucoup d’entre eux ont fourni des reproductions de cahiers de croquis, de dessins préparatoires, de descriptifs, de listes, ou d’autres documents de travail. A la page 147 (de l’édition 2006), celle qui concerne Paco Dècina, on trouve un dessin représentant…l’union Yin-Yang du Ciel et de la Terre.

    Tout vient d’ailleurs. Ou de dedans. Et par des voies détournées

     

    Ici et maintenant, les danseurs travaillent, donc de mémoire, sans filet. Dans tous les sens. C’est un paradoxe, fascinant. La scène qui n’a pas de nom dure deux ou trois minutes. Elle se précipite, vive et complexe, les sept danseurs s’y plongent en même temps. Tout se joue avec une grande précision et je ne comprends pas de quelle manière ils tendent déjà vers l’exactitude. Chacun doit anticiper bien en amont ses mouvements afin d’arriver au bon moment pour rencontrer l’autre. Comment y parviennent ils ? Et la musique bourdonne, sans offrir de repères.

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    Le résultat, plutôt le travail en son état actuel, enivre. Les actions à suivre, multiples, se chevauchent comme des partitions simultanées et légèrement dissonantes. Avec des diagonales, des accélérations, des convergences. Comme suspendu en son centre, il y a dans cette minute un instant remarquable: quand Jesus s’envole, soulevée par les reins d’Orin. Un autre moment me semble tomber à plat, tel que vu maintenant. Lorsque, pour conclure, Chloé, Orin, Noriko, forment ce qui à mes yeux ressemble à un tas. Ils semblent moyennement enthousiastes. Je constate, un peu plus tard, que Paco ne semble pas convaincu lui non plus.

     

    L’heure et demi qui passe est consacrée à ce qu’on pourrait appeler des ajustements, plus sur du rythme (du souffle?) que du mouvement. L’usinage de la matière brute de la danse, mais d’une manière qui conduirait tout droit à la folie un consultant en productivité. Même si on découvre que Paco a été ingénieur, si on en croit sa bio.

    Paco s’implique de la voix. Avec son accent italien, en français, en anglais. Ecoute les danseurs, interroge, stimule, s’exclame. D’une manière toujours délicieusement oblique…«Est ce qu’on peut avoir ici une résonance?» « Là, il faudrait que tu ouvre l’espace ». Sur le papier, lu après, hors contexte, cela ne veut strictement rien dire. Si juste ramené au contenu. Mais à l’œuvre, dans la relation et l’instant, cela se cale avec beaucoup de grimaces, d’exclamations, d’onomatopées. La communication analogique triomphe sur le langage numérique. Jérôme prend une photo spectaculaire, qui sera dévoilée à son heure. Paco s’implique avec le corps aussi, se  jette dans la mêlée d’une roulade, se fait un peu mal. Il chante aussi, lorsqu’il danse.

    Il faudra décrire, une autre fois, comment les danseurs réagissent, communiquent, il faudra parler de leur grand sérieux.

     

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    A la pause, Jérôme évoque notre visite dans la réserve, nous avions alors pris conscience de la grande autonomie laissée aux danseurs. Il demande à Paco qui doit être considéré comme créateur de la pièce. Paco décale sa réponse « Il n’y a pas eux et moi, il y a juste la pièce, Les mouvements ne sont pas la danse, les mouvements rendent visibles la danse ».

    Confirmation de ce que je ressens du projet: Ici il ne s’agit pas vraiment d’élaborer il s’agit plutôt de révéler. Montrer ce que voient les trois femmes de la fresque? Lorsque nous nous sommes rencontré la première fois Paco ma parlé de rêve, de rêve éveillé. On y reviendra. Mais aujourd’hui Paco me dit ne jamais rêver de danse. Ses rêves parlent d’autres choses, et l’inspirent…indirectement

     

    Jérôme, dans la vie, est conservateur et historien. Depuis un certain temps il s’efforce de retrouver trace de la fameuse fresque d’Herculanum, dans des livres d’art, sur internet. Mais à ce jour sans succès. Jérôme est persuadé que cette photo reprise sur le dossier de presse, avec les trois femmes qui regardent vers la gauche, vers d’invisibles objets, ne montre que le détail d’un ensemble plus grand. Il pense qu’il existe, dans un musée, quelque part, une autre partie de cette fresque, et que nous pourrions y découvrir ce que les trois femmes regardent.

    Je parierais que non. Ce n’est qu’une intuition. Mais je suis convaincu que ce vis-à-vis, à supposer qu’il ait vraiment existé, est perdu à jamais. Rendu à notre imagination. Que le point de départ de Fresque ne peut être un point de repère fixe et tangible. C’est à mon avis un rêve, flou, un désir, que la danse doit rendre à la visibilité.

     

    Guy Degeorges 

     

    Photos de Jerôme Delatour, a voir en intégralité sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

    Le prochain épisode est diffusé ici, bientôt...

     

     lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 5, l'épisode 6, l'épisode 7 , les bonus...

  • Looking for Paco: episode 2

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 2: Le Filage

     

    Donc, le filage a commencé. Le voir me fait craindre qu’il soit trop tard pour écrire à propos de la création de Fresque.

    Filage: répétition de toutes les scènes (ou de la plupart des scènes du moins) dans l’ordre prévu, et avec tous les moyens techniques (lumière, son, musique, vidéo) alors disponibles. Ce qui ressemble le plus, à cet instant T, à ce que sera la représentation.

    Dans la salle il fait toujours noir. Sur scène, mon point d’ancrage est Jesus. Au début. Parce qu’elle m’est la plus familière, à regarder danser. Je me guide sur sa présence, sereine, charnelle, et la fluidité de ses mouvements. Pour un temps. Vite, mon attention se rééquilibre sur les autres interprètes. Sur chacun d’entre eux. Sur tous, sur le groupe en son ensemble. Ce groupe qui semble être déjà formé, vers une danse homogène. Il y a déjà eu à ce jour vingt, ou trente, demi-journées de répétition.

    Je regarde le filage, sans m’être mis en position critique. Je regarde Paco qui dirige, tout au long. Voir le filage et écouter Paco en même temps, c’est un peu comme regarder un DVD avec en piste son les commentaires du réalisateur. Paco donne des indications, pas tant de mouvements que de rythme. En termes indirects, détournés: «laisse l’arrêt en suspension ! A l’intérieur ça doit être vivant !». Il use d’un langage de poète et de géomètre. On entend du calme, de l’autorité. La voix est caressante, « italienne ». Les syllabes traînent. Quand Paco s’énerve un peu quand même, sa voix change à peine. Mais sa musique se suspend un court instant; il s’en prend au dossier du fauteuil de devant.

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    Il faut ici écrire ce qui est le plus embarrassant.

    Dès maintenant, j’aime voir ce que je vois.

    Ce qui peut donner l’impression que je rédige un document de promotion. Ou que j’essaie de me concilier dés le début Paco ou l’équipe. Mais en vérité-je ne sors de chez moi que depuis quelques années- je n’avais jamais vu encore de travail de Paco Dècina.

    La rencontre n’allait pas de soit. Et d’ailleurs ce que j’aime depuis quelques minutes, je ne le sais pas. J'aime certains moments. Je ne peux pas encore les qualifier. Plus exactement, je ne ressens pas d’urgence pour qualifier ce que je vois, je ne ressens pas le besoin d’en fixer les images pour le moment. J’ai le temps. Juste l’envie de noter: justesse, essence, densité.

    Le plus important, c’est que je suis déjà, surtout, encore, dans une affinité intuitive. En accord profond avec ce que la danse doit être. C’est évidemment un soulagement, ce projet aurait été compromis si je n’avais pas ressenti cette proximité.

     

    Mais ce projet n’arrive-t-il pas trop tard? Le travail me semble très avancé. Il y a des heurts, des blancs. Mais de ce que je vois, la danse est née déjà. Grandie de plusieurs semaines, par endroits forte et assurée. La création est elle derrière moi ? Je me raisonne: pour ce premier contact, j’ai été invité à être témoin de ce qu’il avait de plus fini. Mis en position de spectateur, dans le noir de la galerie. Oui et non. Cela tend à être une représentation, sans l'être vraiment. Y il aura-t-il donc toujours un doux antagonisme, non formulé, entre la compagnie et moi, la compagnie voulant me montrer de l’achevé, moi recherchant à comprendre les hésitations, les accidents ?

    Après, nous partons boire un pot au self de la cité, Paco, Catherine, Marion, et moi. Je m’ouvre de ces doutes. Tous me rassurent, ou comprennent cela comme une boutade. Il y a autant de répétitions à venir que passées. Et tout à l’heure, un éminent personnage du milieu de la danse contemporaine assistait au filage, délivrait encouragements mais surtout aussi suggestions….Toutes ces discussions, et les doutes, et le reste, je les passe en accéléré, on y reviendra peut-être plus tard, ou pas.

     

    Ce qui compte, c’est que, des jours après, lors d’une répétition dans la Resserre, la lumière se fait....

  • Looking for Paco: episode 3

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 3 : Dans la Réserve, sans Paco

     

    C’est après le filage. C’est une semaine, ou quelques jours plus tard. Paco est resté en bas, dans la « Galerie », dans le noir.

    Nous montons. Nous- Jérôme et moi- et quatre danseurs, dans la « Réserve »: la plus petite salle, en haut, tout en haut par l’ascenseur, sous les toits.

    Nous sommes arrivés tout en haut, et la lumière est là. Beaucoup de lumière, assez de lumière pour que les danseurs travaillent leur soli, assez de lumière pour que Jérôme conjure le flou, beaucoup de lumière, et je vois.

     

    Paco n’est pas là, les souris dansent, mais elles dansent sérieusement. Utilisent toute la profondeur de la scène.

    Tout devant, en duo: Jesus Sevari et Vincent Delétang. Chacun à son tour est le creux de l’autre. Chacun son tour à l’issue d’un retournement lance à l’autre un geste inattendu du bras- une gifle quasiment- l’autre alors s’affaisse, s’efface, du haut du corps, de la tête. Silencieusement. Chaque fois, je n’y crois pas.

    Au second plan Chloé Hernandez, jambes longues et déliées, toute en rapidité, conclut- et bute encore parfois- sur quelque chose de surprenant, de spectaculaire, corps à l’envers.

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    Au fond, trop loin, Takashi Ueno. Près du sol plus abrupt, très physique et étrange, il travaille avec les mains. A regarder, c’est encore un mystère.

    Je vois trois actions à la fois. Au commencement les danseurs ne semblent pas les uns et les autres se voir. Chacun est concentré sur son espace. Sortie d’un ipod, juste la musique, banale et consensuelle, se partage. Ils commencent et recommencent, essaient et se trompent, et encore recommencent. Vincent à la recherche d’un geste de la main comme pour attirer, sans la toucher, Jesus à ses pieds. Comme pour faire rebondir un ballon de basket? Pour trouver ces gestes, ils semblent toujours à la recherche d’invisibles évidences. Qui obéiraient à d’inexplicables critères. Ou ils recherchent des gestes qui soient possibles, tout simplement: Vincent et Jésus entament un pas ensemble…finissent par se coincer les bras. Rires, ils recommencent, autrement.

     

    Ce sont Jesus et Vincent qui les premiers parlent en duo, quand leurs gestes ne se comprennent pas suffisamment. Puis Chloé, qui travaille toujours son mouvement spectaculaire jusqu’à le réussir en apparence, s’interroge à haute voix : « Ca ne fait pas trop cirque ? ». Dit elle cela juste pour se rassurer elle-même? Ou est-ce un appel ? Les autres s’arrêtent de danser. Ils l’aident, suggèrent, ou la confortent, lui permettent de poursuivre dans le sens de ce qu’elle avait décidé.

    Paco n’est pas là. A portée de portable, mais toujours loin quand même, en bas, dans la Galerie. En haut ici dans la Resserre; Jesus, Vincent, Chloé, Takashi créent Fresque, ou des morceaux: « Pour ces soli, Paco nous donne juste des directions très générales et c’est nous qui proposons.  Nous sommes la matière, nous apportons la matière, nos gestes sont la matière, mais Paco la sculpte…et ce qui est génial c’est que cela devient vraiment du Paco Dècina. »

    Les quatre danseurs créent depuis une heure et ensemble. Chacun à un moment le chorégraphe des autres danseurs, ils travaillent maintenant autant du regard et de la voix. Ils montrent, laissent voir de l’inattendu. Le filage est oublié loin derrière, ils tirent des fils. Jesus est d’une irrésistible sérénité, Vincent rit encore, rit souvent, Takashi lui aussi, d’autant qu’il ne semble pas trop bien parler français. Les trois autres l’invitent et lui demandent de montrer son solo.

     

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    Puis chacun de son coté fait à nouveau travailler son propre corps. Les corps- hors représentation- s’autorisent à vider des litres d’Evian, à souffler bruyamment et à ne pas cacher douleurs et fatigues. Les danseurs épuisent ces mêmes séquences d’une minute, une minute trente. Je ne m’attends toujours pas, même après les avoir faire vu dix fois, aux enchaînements de Takashi, à la « gifle » de Jesus et Vincent, à la figure de Chloé.

    Je découvre ce degré de liberté que je ne soupçonnais pas avant. Que la danse d’abord vient d’eux. Eux qui semblent parfois comme de grands enfants, qui montrent tous entre 25 et 30 ans, qui volent deux minutes pour fumer un clope, qui rient et esquissent des pas hip hop.

    Ils apportent les gestes…d’où vient la mémoire de leurs corps? Durant cette répétition, d’où viennent ces gestes qu’ils répètent ? Qu’en restera-t-il dans Fresque?

     

    A suivre…

     

    Guy Degeorges

     

    Photos de Jerôme Delatour, a voir en intégralité sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I., ainsi que, pour leurs relectures, à Pascal Bely et Jérôme Delatour.

     

     lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2 l'épisode 4, l'épisode 5 , l'épisode 6, l'épisode 7, bonus

  • Looking For Paco: prologue

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Prologue : Avant l’avant (mais qu’on peut zapper jusqu’à l’épisode 1).

     

    Si dès cette première ligne commence l’écriture d’un récit (ou d’une fiction, ou d’un roman, mais pas d’un documentaire, ou juste d’une enquête… d’un écrit en tous cas), alors Paco Dècina pourra en être le personnage principal. Pourtant, le lundi 19 janvier 2009, au T.C.I. (Théâtre de la Cité internationale), lors de la création de la pièce de danse contemporaine Fresque, femmes regardant à gauche, Paco Dècina n’apparaîtra pas sur scène.

    Restera hors champ.

    Paco Dènica aura pensé, conçu, porté, mis en scène la pièce. Mais n’y dansera pas. Sera présent, omniprésent, sur le programme, sur les affiches, dans les esprits, dans chacun des gestes. Mais restera à l’écart, loin des regards qui convergeront sur les danseurs. Loin des regards découvrant, à cet instant zéro, ce projet artistique, inspiré par la volonté de révéler ou d'évoquer l’invisible. La fresque de Pompéi (dont, pour certaines raisons, on ne pourra peut-être pas montrer l’image non plus…) qui a donné son titre à cette pièce donc nommée Fresque,  représente trois femmes, leurs regards portés vers d’invisibles objets.

     

    Mais le sujet de ce texte n’est pas Fresque. Ou sinon juste par réflexions, par reflets, par incidences. Ce texte aura pour sujet ce qui existera avant la représentation de Fresque, autour, en dessous, derrière, à coté, à propos, en amont, en soubassements. Aussi ce qui serait jeté avant, oublié. Tout ce qui potentiellement est visible mais qui n’est que rarement montré, parce que jamais raconté.

    Donc…

    Je ne parlerai pas de la création de Fresque : c'est-à-dire de sa première représentation publique.

    Je parlerai de sa création: c'est-à-dire du processus de création, du travail, collectif, élaboratif, qui aura précédé cette première représentation publique

    Et je tenterai de guetter la création telle qu’elle se manifestera: l’acte de créer, dans sa dimension essentielle. Accidentelle? Démiurgique?

     

    C’est dire qu’il y aura des pièges et des frontières floues.

     

    Tout au long de ce récit, Paco Dècina devrait donc tenir le premier rôle. Même de dos…

    Ou peut-être n’y aura-t-il pas vraiment de premier rôle. Seule certitude : je serais de ce texte le narrateur. En littérature, par convention, le narrateur est souvent omniscient. Je serais à l’inverse un narrateur à tâtons. Un narrateur candide, dont le point de vue, je l’espère, évoluera dans le temps. Dont l’écriture s’ouvrira aux rencontres. Avec ceux qui voudront m’aider. Probablement, je ne trouverai pas ce que je serais venu chercher. Et je découvrirai des choses- petites ou grandes, qui sait ?- dont avant je n’aurais pas eu idée. Evolueront autour de Paco une douzaine de personnages, issus de la compagnie, du théâtre, ou d'ailleurs, tous nécessaires, tous importants. Et il sera sûrement question du groupe en tant que tel. Il y aura des épisodes dans divers lieux, des retours en arrière et peut-être en avant, mais tout commencera et finira ici, au T.C.

    Lire  l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 5 , les bonus...